Quand le mot CPE fait la une des actualités, le réseau frissonne toujours un peu. Quelle nouvelle tuile nous tombera dessus? Quel nouveau scandale a été déterré? La récente actualité dénonçait le déficit vécu par plus de la moitié des CPE/BC du Québec. 54%, > selon l’enquête menée par le journaliste Thomas Gerbet.
Ce chiffre fait froid dans le dos. Surtout que chaque fois qu’on prend connaissance de ce genre d’articles au titre accrocheur, on craint que les lecteurs ne se disent : tiens, encore des gestionnaires incompétents!
Nous savons que la très grande majorité des personnes qui occupent le poste de direction en CPE/BC sont compétentes, solides et possèdent tous les outils pour gérer leur organisation avec rigueur, en collaboration avec leur conseil d’administration. Pourtant, il plane toujours un doute dans la tête des gens qui ne connaissent pas notre réalité. Quand quelque chose cloche, on pointe souvent le capitaine!
Que faire, alors? Dans l’ordre des priorités, il faut d’abord expliquer aux administrateurs de votre CA comment fonctionne le mode de financement du Ministère et leur démontrer comment celui-ci a un impact direct sur la gestion des CPE, ce qui cette année s’est traduit en déficit historique pour un grand nombre d’entre eux. En effet, encore une fois, les vents contraires ont frappé de plein fouet. Souvenez-vous, ce n’est pas la première fois qu’on traverse des périodes difficiles : étiez-vous là lors des coupes et des compressions budgétaires des Libéraux en 2014 qui ont laissé les CPE pratiquement agonisants?
Oui, les directrices sont résilientes, on finit toujours par y arriver… Mais ça use les nerfs, la patience et notre tolérance aux aberrations. Certaines réussissent la traversée, tête haute malgré les conséquences. Mais pas toutes. Le manque de financement, le calcul de la subvention pour la masse salariale, le dépôt tardif des règles budgétaires ont tous des incidences directes sur cette désastreuse situation, vécue par les CPE et subie par les cadres.
Non, ce n’est pas notre première sortie publique en ce sens. À ce propos, voici en effet quelques incongruités que nous avons partagées en juin dernier au directeur du financement du réseau (Sous-ministériat au financement, aux infrastructures et à l’administration du ministère de la Famille):
- Les salaires, les échelons et le 11e échelon qui ne sont pas subventionnés
- Les paramètres de financements pour l’entretien des locaux, qui sont sous-estimés au réel
- Les agentes en soutien dans les CPE, qui devraient se calculer dans les frais directs et non dans les frais administratifs.
Radio-Canada a échangé avec une dizaine de directrices de CPE de partout au Québec et vous avez également été nombreuses à réagir, à nous écrire, augmentant ainsi encore un peu la liste des incongruités :
- Le problème majeur : les coûts de l’alimentation qui augmentent constamment.
- En plus des remplaçantes, il y a le coût des heures supplémentaires pour les éducatrices salariées qui comblent le manque de personnel.
- Le coût des assurances, des rénovations et de la main-d’œuvre indépendante est sans cesse en hausse
- Les services de remplacement pour combler la pénurie de main-d’œuvre représentent entre le tiers et la moitié des déficits des CPE.
- La hausse incessante des coûts de nourriture, du matériel éducatif, l’entretien des bâtiments, mais la principale dépense, et de loin, ce sont les salaires et avantages sociaux des travailleuses.
D’autres de vos commentaires témoignent bien de la situation des gestionnaires!
- Si je coupe dans la main-d’œuvre, ça va avoir un impact sur la qualité des services, ce que je n’accepte pas! Mais je ne sais pas jusqu’à quand on va pouvoir maintenir cette position-là.
- On doit admettre que nous ne sommes pas sorties du bois si le gouvernement ne reconnait pas ces manques à gagner!
Les associations nationales ont aussi un très grand rôle à jouer. Selon la directrice de l’AQCPE Marie-Claude Lemieux, la situation des déficits est conjoncturelle. Elle a précisé que l’Association québécoise «travaille avec le Ministère pour trouver des solutions solides et pérennes et pas seulement des économies de bouts de chandelle». Alors, quelle place vos associations nationales veulent-elles, peuvent-elles, doivent-elles prendre exactement?
Puis, d’un autre côté, il y a… la pénurie de main-d’œuvre qui n’est toujours pas réglée et qui, malheureusement, trouve aussi sa source dans l’entêtement du Ministère à ne pas reconnaître adéquatement le travail des éducatrices en CPE. La situation se présente comme une roue sans fin, que les cadres et leur Association déplorent vivement. Voir, impuissant, du personnel quitter le réseau pour aller travailler dans des mines, des entreprises privées, dans le réseau scolaire ou au Ministère, il n’y a rien de plus frustrant. Surtout quand on sait que le désastre aurait pu être évité, du moins limité:
- Le ministère de la Famille aurait pu endiguer ce désastreux exode par une réelle reconnaissance des diverses professions de la petite enfance.
- Le ministère de l’Éducation aurait pu contribuer à la mise en œuvre d’un projet structurant pour les CPE en freinant dès le départ l’instauration inutile autant qu’inopérante et pharaonique des maternelles 4 ans.
- Le Ministère doit faire cesser l’exode des éducatrices des CPE vers le scolaire! Pour ce faire, il doit travailler à unifier les échelles salariales des éducatrices du scolaire et du réseau des CPE (ça vaut aussi pour les éducatrices spécialisées). La période des négos est tout à fait indiquée pour le faire.
Comme rien de cela n’a même été amorcé, nous nous retrouvons aujourd’hui avec des CPE qui doivent avoir recours à des agences de placement privées commerciales et à du personnel non qualifié, tout en essayant de boucler des budgets avec du financement inadéquat dont ils ne connaissent même pas les règles.
Le chaos est une situation franchement désastreuse, tout autant que l’incohérence, une forme encore plus insidieuse de désordre. En effet, il est quand même étrange, comme le soulignait récemment une direction générale, que le Ministère publie son Guide d’utilisation des surplus en même temps qu’il fasse connaître son aide financière pour les CPE en déficit structurel. Si le ministère de la Famille était un bateau, il y a longtemps que les gestionnaires de CPE/BC auraient revêtu leur veste de flottaison et jeté un œil sur le nombre de chaloupes de sauvetage.
Élyse Lebeau, MBA, Adm.A
16 septembre 2024