Des garçons sur les bancs d'école
et de l'importance de tout lire jusqu'à la fin
Quand différents lobbys s’opposent dans un dossier délicat, il est toujours gênant de lever la main pour prendre la parole.
Le 23 avril dernier, le journal La Presse (dans > Le tabou de l’inégalité scolaire des garçons) faisait état d’un important problème social soulevé par quelques chercheurs : celui de la sous-scolarisation des garçons. Même s’il a connu de très nombreux virages au fil des dernières décennies, le monde du travail continue de changer et oui, les filles prennent aujourd’hui une place qui leur avait très longtemps refusée : elles semblent mieux réussir, s’inscrire en plus grand nombre dans des domaines d’étude traditionnellement masculins, se qualifier plus aisément à des postes où on ne les voyait jamais… L’école puis l’université ont enfin ouvert leurs portes (et leurs esprits) à l’entrée des filles et des femmes. Il n’est donc pas surprenant de les voir plus nombreuses également sur le marché du travail et, évidemment, embrasser aussi des professions dites masculines.
Quoiqu’on en dise et quoiqu’on en pense, le propos de ces chercheurs n’est pas nouveau. Il existe certainement un problème dans le système scolaire actuel qui peine à attirer ou à retenir les garçons. On entend régulièrement des critiques en ce sens (rappelons-nous > le cri du cœur très médiatisé de Gregory Charles en avril 2022).
On le sait, on le dit depuis des décennies, comment l’école pourrait-elle mieux s’adapter aux garçons? Comment la grande énergie des garçons pourrait-elle être évacuée dans l’apprentissage?? Que ce soit pour le français, les mathématiques, les sciences ou toute autre discipline, est-ce possible de tenir compte des besoins des garçons pour que ces matières soient, par exemple, transmises dans le « mouvement », lors des déplacements, dans les sorties extérieures? Par exemple, intégrer les sciences et les mathématiques au parc, dans le bois... Une approche spécifique pour les garçons doit être réfléchie et surtout mise de l’avant dès la formation initiale des enseignant.es, à l’université.
Toutefois, certaines analyses nous incitent à chercher des raisons beaucoup plus terre à terre. À ce propos, je vous inviterais à lire l’excellent article > Décrocher, hélas, coûte peu aux garçons qu’a écrit Josée Boileau en 2019 dans L’Actualité.
Ses conclusions font un peu frissonner : les garçons ont beaucoup moins d’incitatifs à rester à l’école notamment parce que… les perspectives d’emploi des hommes non ou sous-scolarisés leur permettent d’avoir des salaires incomparablement plus intéressants que les femmes dans la même situation :
« Concrètement, eux se retrouveront camionneurs ou cuisiniers, ou travailleront dans le domaine de la construction ; elles seront femmes de ménage, caissières ou serveuses. Statistique Canada souligne que cette liste, bien typée et aux écarts salariaux réels, n’a guère varié depuis… 1990. »
Mais ce que je souhaite mettre ici en lumière, ce n’est pas la dramatique question de l’écart qui se creuse toujours plus entre le nombre de femmes et d’hommes sur les bancs d’école et dans le monde du travail. Je veux vous inviter à lire l’article de La Presse jusqu’à la fin. Richard E. Tremblay, professeur de pédopsychologie dont les positions en faveur de la scolarité précoce sont bien connues, fait partie des chercheurs cités dans l’article. Il est appuyé par Catherine Haeck, professeure au département des sciences économiques à l’UQÀM, qui mentionne tout simplement que les centres de la petite enfance (CPE), s’ils ont eu un impact social bénéfique, n’ont pas atteint leur cible en ce qui concerne les enfants plus à risque. « On ne voit pas d’effet bénéfique sur les enfants », disent-ils.
Comment ne pas éprouver un vif malaise de voir des économistes se prononcer sur la petite enfance, nous qui avons les deux pieds (et le cœur!) au centre même du réseau, nous qui travaillons conjointement avec des universitaires qui, elles, ont réellement fait du milieu de la petite enfance >leur objet spécifique de recherche? Alors que les données sur la qualité, sur les interventions, sur les environnements et sur la continuité des services éducatifs sont au centre de leurs domaines d’expertise, ces chercheuses ne cessent de répéter que l’impact des CPE/BC sur les enfants est une réalité multidimensionnelle. Il est donc difficile la faire entrer l’impact de la qualité dans des cases de programmes.
Nous savons d’expérience que si les gouvernements québécois d’après 2003 n’avaient pas mis la hache dans le financement de la petite enfance, on aurait atteint nos objectifs d’intégration des enfants à besoins particuliers.
Dans le mémoire qui avait été déposé en mai 2019 dans le cadre des consultations de l’Assemblée nationale sur les maternelles 4 ans (projet de loi 5), Sylvana Côté, Christa Japel et Richard E Tremblay avaient pourtant souligné que les écarts de réussite scolaire entre les enfants de milieux défavorisés et les autres vont continuer d'augmenter s'ils ne reçoivent pas des services de garde de qualité avant d'entrer en maternelle. Ils recommandaient donc « de favoriser l'accès des enfants de milieux défavorisés aux services de garde de type CPE pour qu'ils soient en mesure de profiter de leur scolarisation dès la maternelle ».
Aujourd’hui donc, certaines voix interprètent autrement la situation. Elles affirment que les enquêtes récentes, dont > l’EQDEM, n’ont pas réussi à prouver que les CPE ont réellement joué un rôle protecteur pour les enfants vulnérables du Québec, contrairement à ce qu’avait démontré l’ >EMEP auparavant pour le territoire de Montréal.
Elles oublient toutefois de prendre en compte le fait que des enquêtes comme l’EQDEM ne contrôlent pas le niveau de qualité des milieux dont il est question. Par exemple, on sait très bien que la qualité est généralement plus élevée en CPE qu’en garderie. Les résultats de l’EQDEM peuvent très bien dénoter que pour un enfant en particulier, le fait d’avoir fréquenté un CPE n’est pas associé à de meilleurs résultats. Cela ne signifie évidemment pas que tous les CPE sont de qualité médiocre!
Bref, ce sont de telles affirmations qui ont contribué depuis à discréditer les services de garde au profit des maternelles 4 ans. Ces auteurs répètent à qui veut les entendre (et surtout au gouvernement) que les maternelles 4 ans seraient meilleures pour répondre aux besoins des enfants. Et c’est ce qu’ils vendent encore, en douce, à travers cet article d’Yves Boisvert.
Cette histoire souligne bien que les grands titres attirent le regard; on relaie l’information qui circule sur les réseaux sociaux, on commente avec un pouce en l’air parce que, oui, on trouve qu’il est préoccupant que le réseau scolaire n’ait pas su s’adapter aux nouvelles réalités sociales et qu’il soit inadmissible qu’on ne mette pas en place de façon urgente une Commission Parent 2.0.
Mais, on ne voit pas qu’en filigrane, on vient d’appuyer sur le bouton rouge de la trappe dans laquelle les lobbys de la scolarisation précoce tentent de faire tomber les CPE.
Élyse Lebeau, MBA, Adm.A.
Le 4 mai 2023